5 clés pour mieux gérer ses émotions

Le terme « émotion » vient du latin « motio », qui signifie « se mouvoir ». Étymologiquement, l’émotion est donc liée à une notion de mouvement, pourtant, pour beaucoup d’entres nous, elles nous paralysent. C’est pour cela que l’on cherche ainsi à gérer ses émotions : garder la maîtrise de son corps et de son esprit pour aller là où on le désire.

Beaucoup voit donc en l’émotion cette sœur ennemie, capable de nous apporter nos plus grands moments de joie et d’exaltation… mais aussi capable de nous faire sentir malheureux et misérable. Depuis plusieurs dizaines d’années, la recherche a montré que la clé du bonheur et des relations épanouies passent par une bonne régulation des émotions. Les recherches en psychologie et en neurosciences ont bien avancées ces dernières années pour nous aider à mieux comprendre ces processus. Qu’en disent-elles sur les techniques de gestion des émotions efficaces ?

 

Gestion des émotions : contrôle ou maîtrise ?

Les premières réflexion que l’on a sur l’émotion datent de l’Antiquité avec les philosophes comme Aristote, Socrate ou Platon. Ce dernier a d’ailleurs une vision très pessimiste de l’émotion, qu’il considère comme une perversion de la raison. Son idée sera donc d’empêcher l’émotion de s’exprimer, de même la nier pour ne pas se laisser influencer par une chose dangereuse à la pensée et la réflexion. Socrate, quant à lui, voyait l’émotion comme l’ennemi du libre-arbitre. Aristote, tout en étant conscient du caractère subjectif de l’émotion, dénotait qu’une émotion possède deux valences, celle du plaisir ou du déplaisir.

Culturellement, l’occident est plus propice aux partages des émotion, même si cela n’a pas toujours été le cas dans notre histoire, comme on a pu le voir dans la philosophie antique, mais aussi dans la pensée médiévale. Il faudra attendre Descartes pour avoir le premier traité sur l’émotion, où celui-ci explique que la raison et l’émotion sont opposées. Antonio Damasio lui donnera d’ailleurs tort dans son livre « L’erreur de Descartes », une lecture que je vous recommande fortement.

Dans les pays asiatiques, il est courant de ne pas montrer son émotion : cela est considéré comme un manque de pudeur. Le contrôle de l’émotion est donc très présente, même dans le cas d’une émotion positive. En effet, dans la philosophie bouddhiste (comme la philosophie judéo-chrétienne dans nos contrées influant même les plus athées d’entres nous), on considère que le bonheur est éphémère, et que quelque chose de négatif va arriver. Ce qui nous amène à déduire que nos méthodes de gestion des émotions ne fonctionneraient pas avec certains peuples asiatiques : la notion de contexte et de culture est à prendre en compte quand on parle des émotions.

L’émotion, malgré une reconnaissance de sa nécessité, garde donc toujours une notion négative sur l’influence qu’il a dans nos vies, et on cherche souvent à la contrôler, c’est à dire empêcher son expression, plutôt qu’à la maîtriser en l’utilisant comme vecteur de communication ayant un objectif précis.

 

L’utilité des émotions et de leur bonne gestion

J’ai décrit l’utilité de la peur et de la colère, deux émotions souvent jugées négativement et pénalisantes dans les interactions sociales. Car oui, ces émotions, que l’on partage avec plusieurs espèces animales ont d’abord une utilité d’ordre adaptative. Si nous ressentons des émotions, c’est pour préparer le corps à la survie !

Voici un bref résumé de l’utilité de 6 émotions de base d’après les travaux de Robert Plutchik :

Emotion Fonction Stimulus déclencheur Utilité
Peur Protection (se protéger soi ou son groupe) Menace Le sang est dirigé vers le muscles afin de préparer l’organisme à la fuite. Paralysie très courte pour laisser le temps à l’individu de choisir la réaction appropriée (Cf le Serpent de Ledoux)
Colère Destruction/défense Obstacle Injustice Irrespect L’énergie est dirigée vers les muscles afin de décupler la force de l’individu afin de mieux se défendre
Tristesse Réflexion Evacuation d’un stress Echec Perte Deuil La motivation devient moins forte afin de permettre un retour sur soi, de mieux mesurer les conséquences de l’échec/la perte/le deuil. Permet la réflexion, d’évacuer la pression, de « passer à autre chose »
Dégoût Rejet Substance/nourriture impropre Personne nuisible Accompagné quelquefois de nausées, le dégoût est une expression primitive du rejet des substances toxiques qui peuvent être ingérées
Surprise Orientation Nouveauté Soudaineté Provoque un haussement de sourcil qui élargit le champ visuel et permet d’avoir davantage d’informations en cas d’événement inattendu
Joie Exploration Curiosité Atteinte d’un objectif Augmente l’énergie disponible, inhibe les émotions négatives. On se montre plus curieux, plus ouvert et on se donne plus de buts à atteindre. Les objectifs sont plus facilement réalisés.

 

Chaque émotion est donc primordiale, mais nous n’en sommes plus à lutter pour notre survie, à fuir les prédateurs. Notre survie est devenu autre : elle est devenue sociale.

Nous avons peur maintenant d’être seul, d’être jugé, d’être ostracisé, d’être incompris, d’être pointé du doigt. Les émotions ont gardé cette prépondérance dans nos vies, car elles sont intégrées dans nos gènes, dans notre langage, dans notre communication. La recherche a montré depuis longtemps qu’une totale absence d’émotions ou d’expressions conduit à un effet contre-productif. Il a été prouvé que sans émotions, il n’y aurait pas de communication, d’apprentissage, de motivation, de mémorisation, d’échanges… Bref, l’humanité n’existerait pas. Certaines personnes atteint du syndrome de Cotard ne ressentiraient pas d’émotions… et en concluent qu’elles sont mortes !

On ne peut donc pas vivre sans émotions, ok. Chercher à les faire taire, les contrôler ? Les statistiques montrent que c’est peu efficace, et conduisent au stress et à l’apathie, voir pire quelquefois. Les travestir ? Idem.

Depuis plusieurs années, les psychologues ont mené des études pour voir l’impact d’une bonne gestion des émotions sur plusieurs facteurs :

  • Sociales

    Selon une recherche inter-universitaire, ceux qui gèrent mal leurs émotions ont des relations de moins bonnes qualités : moins d’amis, plus de conflits, moins appréciés par leur entourage. En effet, qui a envie de passer du temps avec quelqu’un perpétuellement en colère ou ne faisant que s’apitoyer sur son sort ?

  • Santé

    Il a été montré que les difficultés à réguler ses émotions peuvent amener à des troubles liés à la santé : asthme, maladies cardiovasculaires, diabète… et même le cancer ! En effet, une mauvaise régulation amène souvent simplement à plus de stress. Pour des plus amples informations sur le fonctionnement du stress, je vous renvoie à mon article sur le sujet.

  • Bien-être

    Si on a du mal à gérer ses émotions, on a moins de chance de s’épanouir… et donc d’être heureux. Des comportements émotionnels négatifs répétés peuvent en effet amener au burn out, à la dépression.

  • Performance

    Il a été montré dans les milieux scolaires et professionnels que la mauvaise gestion des émotions pouvaient avoir des conséquences sur les performances. Des études ont été faites aussi bien dans les milieux hospitaliers envers les infirmiers que dans les milieux commerçants avec des vendeurs, et arrivent à la même conclusion : bien gérer son émotion, c’est apporter un travail de qualité et la satisfaction de l’usager.

    Il a été aussi montré qu’une mauvaise gestion de son émotion avait plus de chance de conduire au… chômage.

 

La régulation des émotions

Selon James Gross, on entend par régulation émotionnelle la capacité à atténuer, intensifier ou maintenir une émotion positive ou négative selon ce que vise la personne. Il ne s’agit donc pas de se défaire de ses émotions négatives ! Chacun de nous, d’ailleurs, pratique déjà la régulation émotionnelle. On dénote 4 paramètres différents :

 

  • Le type d’émotion

    Nous l’avons vu qu’il était courant de masquer ses émotions ou de se travestir, car les codes sociaux donnent l’impression qu’il est la norme de se comporter ainsi. Nous pouvons aussi essayer de passer d’une émotion négative à une émotion positive. Ou bien nous pouvons rester dans la même valence, c’est à dire soit dans une émotion positive, soit dans une émotion négative (comme par exemple transformer sa déception en colère)

  • L‘intensité de l’émotion

    Ici il s’agit de modérer ou non l’expression de l’émotion. On peut ainsi éviter d’exprimer pleinement sa colère envers un collègue pour éviter la « mauvaise ambiance » ou bien ne pas se vanter de sa récente promotion à un ami en difficulté professionnel…

  • La durée de l’émotion

    Il s’agit de prolonger ou d’écourter une émotion. Nous pouvons ainsi décider de profiter encore de l’instant présent, ou bien arrêter d’avoir une émotion négative et « passer à autre chose ».

  • Une ou plusieurs composantes de l’émotion

    Modifier les composantes de l’émotion permet de modifier le messager interne ou externe : on peut ainsi minimiser sa sensibilité interne au risque d’être moins empathique, ou bien modifier l’expression que l’on a de l’émotion pour éviter que cela ne se remarque.

Réguler ne signifie donc pas forcément diminuer l’intensité d’une émotion : on peut aussi chercher à l’augmenter. James Gross a pu donc définir 4 formes de régulation émotionnelle, dépendant de 2 facteurs : l’intensité de l’émotion (augmenter/diminuer) et la valence (émotion positive/négative).

Diminuer l’intensité Augmenter l’intensité
Emotion négative Diminuer le stress, atténuer la tristesse causé par le deuil, maîtriser sa colère dans un lieu public… Augmenter l’expression de colère (faire un scandale pour se faire rembourser), de tristesse (pour se faire plaindre ou amadouer), etc…
Emotion positive Masquer sa joie d’avoir obtenu quelque chose qu’un autre désirait (promotion, objet, examen, etc…) Profiter de l’instant, augmenter sa curiosité pour de choses nouvelles, dire le bien qu’on pense des autres, etc…

 

A partir de ce tableau, on peut faire le lien avec nos propres épisodes de régulation, mais on constate souvent que nous ne les utilisons pas forcément de manière optimale. Il n’est pas rare de voir des situations d’augmentation de l’émotion négative comme un moteur managérial ou comme technique de rendements. Combien d’entreprises mettent « la pression » à leurs employés ? Combien de conjoints utilisent le chantage émotionnel pour obtenir ce qu’ils désirent ? Sans généraliser pour autant, ce genre d’attitude n’est pas rare et tombe souvent sous l’excuse du « c’est comme cela « .

 

5 clés pour une meilleure gestion de ses émotions

 

Je vous propose ici quelques techniques de régulation émotionnelle qui ont fait leur preuve et que vous pourrez vous-même mettre en application dès aujourd’hui :

 

La méditation : la preuve n’est plus vraiment à faire, les études neuroscientifiques ont montré que le cerveau d’un praticien de la méditation était différent d’un cerveau « classique ». Quelques minutes de pratique par jour de techniques de relaxation, de respiration et de visualisation suffisent à pouvoir, en cas de montée d’une émotion inconvenante, de la traiter presque inconsciemment. J’ai – pour ma part – maintenant une plus grande tolérance à l’émotion de colère qui était auparavant très présente dans ma communication.

 

L‘analyse de pratique : c’est un outil utilisé de plus en plus dans les équipes, et qui peut se faire seul ou bien en groupe. Il s’agit d’essayer d’analyser le plus objectivement possible sa pratique (que ce soit par l’intermédiaire d’un travail, d’un exercice, d’un événement, d’un incident, etc…) et d’y apporter les critiques les plus constructives possibles. Plus facile à faire en groupe si l’on cherche le plus d’avis possible, à condition d’imposer une bienveillance. Ainsi, dans de nombreux services hospitaliers, de telles pratiques sont mises en place : régulièrement, chacun fait état de ce qui a pu se passer récemment, et expose ses réussites et ses frustrations. En cas d’incident, on ne cherche pas un coupable, mais une manière de faire que cela ne se reproduise plus. Personne n’est ostracisé, chacun s’exprime sans jugement, et on s’améliore dans sa pratique. C’est tout à fait transposable à la communication et la régulation des émotions.

 

La réflexivité : similaire à l’analyse de pratique, elle se concentre plus sur les états internes et sur la réflexion que l’on peut faire sur soi. Il s’agit de faire presque un travail d’enquêteur et de chercher à mieux se connaître, et surtout comprendre son fonctionnement. Prenons un exemple : imaginez que vous vous soyez mise en colère envers votre conjoint pour une banalité. Sans réfléchir, vous pourrez dire que la raison de votre colère est que votre conjoint l’a bien cherché (il a dit une bêtise, fait une erreur : vous avez surement un cas d’école en tête). Maintenant, si vous prenez le temps de la réflexion : pourquoi je me suis mis en colère ? Est-ce que j’aurai eu la même réaction à une autre heure de la journée, avec une autre circonstance ? En effet, j’ai eu une journée très dure… Mon responsable m’a énormément mis la pression, je n’ai pas osé lui dire. Et en ce moment, je suis plutôt stressé, j’ai des maux de ventre…

La réflexivité, plutôt que de chercher à traiter une conséquence, va chercher la cause de l’expression d’une émotion. L’exemple que j’ai cité est simple, mais quelquefois, une émotion peut avoir un passif bien plus lourd, et avoir une influence sur ce que l’on appellerait communément la « personnalité ».

 

La distraction : cette stratégie utilisée souvent de façon empirique montre d’excellent résultats selon les recherches en psychologie. En effet, se focaliser sur autre chose, si possible de plaisant, peut amener à détourner l’attention de l’expérience émotionnelle négative. On peut aussi coupler cela avec la notion d’objectif, qui en plus d’amener une occupation, amène un but à atteindre. C’est le principe utilisé en formation, et que j’utilise avec les clients que je suis : se fixer des objectifs atteignables et motivants amènent à un changement émotionnel durable.

 

Le journal : écrire, tenir un blog ou un journal intime est un excellent moyen de comprendre et gérer ses émotions. Quand on couche sur le papier (ou sur un autre support) ce que l’on ressent, en plus de le verbaliser, on lui donne corps et existence. Les études montrent que les personnes écrivant trois fois par semaine ce qu’ils ont pu ressentir de notable avaient une meilleure gestion de leurs émotions, et une plus grande facilité à exprimer les émotions positives.

 

Il existe d’autres manières de gérer ses émotions : les TCC, l’intelligence émotionnelle… Vous pourrez retrouver mes articles à ce sujet sur ce blog.

Mais pour ceux désirant mieux gérer leurs émotions, je leur propose de mettre en pratique la technique de leur choix, et de venir, dans les commentaires, donner leur expérience.

 

Sources :

Elizabeth Pachery, Maîtriser ses émotions dans Cerveau & Psycho n°6, juin-août 2004, p.61-63

Paulo N. Lopes, John B. Nezlek, Natalio Extremera, Janine Hertel, Pablo Fernandez-Berrocal, Astrid Schutz, and Peter Salovey, Emotion Regulation and the Quality of Social Interaction: Does the Ability to Evaluate Emotional Situations and Identify Effective Responses Matter? , Journal of Personality, April 2011

P.M. Lehrer, S. Isenberg, S.M. Hochron, Asthma and emotion: a review.

D. Spiegel, J. Giese-Davis, Depression and cancer: mechanisms and disease progression.

James J. Gross and Ricardo F. Muñoz, Emotion Regulation and Mental Health

Moıra Mikolajczak, Olivier Luminet, Cecile Leroy and Emmanuel Roy, Psychometric Properties of the Trait Emotional Intelligence Questionnaire: Factor Structure, Reliability, Construct, and Incremental Validity in a French-Speaking Population

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